Le Moment psychologique, à découvrir du 3 au 18 février à Théâtre Ouvert
Texte de Nicolas Doutey
Éditions Théâtre Ouvert | TAPUSCRIT
Mise en scène Alain Françon
Avec Louis Albertosi, Pauline Belle, Rodolphe Congé, Pierre-Félix Gravière, Dominique Valadié, Claire Wauthion
« Le point de départ du Moment psychologique est élémentaire : écrire une pièce qui propose une expérience. J’ai cherché, avec mes moyens qui sont ceux de l’écrit, non pas d’abord à raconter une histoire ou énoncer un point de vue, mais à travailler au niveau de l’expérience qu’en tant que spectateurs nous faisons tous inévitablement quand nous sommes au théâtre assis en silence à regarder et écouter des gens qui agissent et parlent sur une scène.
Pour ce faire, je me suis appuyé sur certains aspects de cette expérience : le fait que dans une performance scénique le présent, l’acuité du moment, est au premier plan et que nous spectateurs le partageons sans fiction avec les acteurs ; le fait que la parole et l’action ont une dimension extérieure et publique, et que l’écoute et l’attention à la situation de l’autre y jouent un grand rôle ; le fait que la scène comme espace met en relief l’aspect collectif de l’existence, l’aspect par où l’existence est coexistence, par-là possiblement un échantillon de politique. J’ai cherché à travailler à partir de ces éléments, afin que, ce dont la pièce parle et comment elle en parle,
on puisse à tout instant en faire l’expérience concrète en se rapportant à ce qui est en train d’avoir lieu sous nos yeux. C’est du moins à ce genre de choses que je pensais en écrivant.
Au bout du compte ça a donné l’histoire de Paul qui a quelques difficultés à rester dans le présent et est approché par une femme politique, Matt, qu’il ne connaît pas du tout, et qui estime que la manière dont Paul fait ce qu’il fait est très intéressante et peut jouer un rôle central pour le projet qu’elle dirige, visant à réinventer le politique dans le monde.
Comme ce bref résumé le laisse voir, ma démarche a sans doute produit quelques incongruités – que je ne renie pas : le rire, et sa surprise, ne me semblent pas sans rapport avec la valeur scénique du présent.
J’accorde de l’importance à ce que ma pièce ne se comporte pas de façon autoritaire avec ses spectateurs ou lecteurs, que chacun soit libre de s’y rapporter à sa manière. C’est pourquoi je préfère ne pas trop en dire, je ne voudrais pas que mon point de vue particulier, celui de la fabrication, en empêche d’autres. Je peux néanmoins peut-être quand même dire aussi ceci, justement pour évoquer la pièce sous un autre aspect.
Un jour à la télévision je suis tombé sur un documentaire sur des artistes chinois qui évoquaient leur situation de travail en Chine. L’un d’eux racontait qu’un jour il avait reçu un coup de fil de quelqu’un du parti, du pouvoir politique, qui l’invitait à prendre un thé. Il se rendait au rendez-vous, dans un bar d’hôtel très luxueux, et cette personne du pouvoir disait à l’artiste qu’elle s’intéressait énormément à son travail, voulait en savoir plus, aimerait être tenue au courant de ses développements. L’artiste expliquait qu’il avait d’abord été très flatté par cet intérêt inattendu avant de comprendre qu’il s’agissait sans doute de surveillance, le pouvoir cherchant à savoir s’il n’y avait pas des éléments possiblement contestataires dans son travail.
D’une certaine manière, Le Moment psychologique reprend cette situation en en renversant le sens, c’est-à-dire en imaginant que la personne “politique” n’a aucune mauvaise intention ou arrière-pensée et s’intéresse vraiment, positivement, à ce que Paul fait, qu’elle trouve formidable et passionnant (dans la pièce Paul n’est pas spécialement
un artiste, on ne sait pas ce qu’il fait, c’est tout le monde et n’importe qui). Le Moment psychologique aborde ainsi, frontalement et naïvement, la question du politique, et sans doute plutôt du côté de l’utopie – sans exclure d’autres perceptions ou évacuer d’autres tonalités, j’avais plutôt envie de réfléchir à ce que serait quelque chose de complètement formidable politiquement. Et je serais heureux si, d’une manière ou d’une autre, quelque chose pouvait s’en transmettre dans l’expérience de la pièce. »
Nicolas Doutey